La rhétorique (ρητορεύω, parler en public) est constituée de l’ensemble
de moyens d’expressions destinés à convaincre un auditoire. Elle s’oppose
ainsi, depuis l’antiquité, à la dialectique qui veut rechercher la vérité. L’on
a donc, d’un côté, un discours philosophique, et de l’autre, un discours
politique ou judiciaire : par lui on cherche à convaincre un électorat, un
juge.
Pour ainsi bien dire, il faut connaître
certaines formes du discours, que l’on nomme les figures de rhétoriques, ou de style.
Parmi elles, l’on trouve certaines qui marquent
l’exagération, d’autres l’atténuation, d’autres encore l’opposition, de mots à
d’autres mots, ou des mots à ce qu’on pense.
1. Les
figures d’exagération
La gradation est une succession de termes dont la
qualité va croissante ou décroissante.
Va, cours, vole, et nous venge. (Corneille, Le Cid, I-5)
Je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré. (Molière, L’avare, IV-7)
L’hyperbole (υπερβάλλω, jeter au-delà) désigne un simple mot ou
un groupe de mots visant à exagérer une chose déterminée.
Un homme
sauvage en rencontrant d’autres sera d’abord effrayé. Sa frayeur lui aura fait
voir ces hommes plus grands et plus forts que lui-même ; il leur aura
donné le nom de géants.
Rousseau,
Essai sur l’origine des langues, III
2. Les
figures d’atténuation
L’euphémisme (ευφημέω, bien dire) consiste à dire de manière
adoucie une idée désagréable.
Pleurez, doux
alcyons ! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers
à Thétis, doux alcyons, pleurez !
Elle a vécu,
Myrto, la jeune Tarentine !
Chénier, La jeune Tarentine
La litote (λιτότης,
simplicité) exprime par une forme négative un vouloir-dire positif.
Ce n’était pas
un sot (La Fontaine) : c’était un être intelligent.
Je ne te hais
point (Corneille) : je t’aime.
Elle n’est pas
mauvaise : bonne, etc.
3. Les
figures d’opposition
Il faut distinguer l’opposition entre deux mots
énoncés, écrits ou dits (oxymore, antithèse, chiasme) de celle où ce que l’on
exprime est le contraire de ce que l’on pense (antiphrase).
L’oxymore (masculin), ou alliance de mots, est
un rapprochement direct de deux mots contraires.
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth
constellé
Porte le Soleil
noir de la Mélancolie.
Nerval, El Desdichado
L’antithèse (αντίθεσις, opposition) est le rapprochement de deux
mots contraires, mais au niveau de la phrase.
Tout lui plaît et déplaît, tout le choque et l’oblige ;
Sans raison il est gai, sans raison il s’afflige
Boileau, Satires,
VIII
Le chiasme (χιασμός, disposition en croix) est d’une
structure plus complexe que l’antithèse, puisqu’elle met en relation symétrique
deux couples de termes, soit pour simplement les poser en parallèle, soit en
antithèse. Remarquons la structure ABBA :
Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour
manger.
Molière, L’avare,
III,1
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon
Baudelaire, Le
balcon
L’antiphrase (αντίφρασις, l’usage d’un mot avec une bonne
signification en ayant une mauvaise) est, quant à elle, généralement différente
des trois premières puisqu’elle implique, avec sa phrase, une situation ou une
pensée hors de son lexique. L’ironie en fait partie.
Rien n’était
si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les
trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une
harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord
à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta
du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la
surface.
Voltaire, Candide, chap. 3
4. Les
figures de substitution
La métonymie (μετωνυμία, de μετά- et όνομα, nom) désigne une idée avec un mot en
signifiant une autre qui est liée à la première par un rapport de contiguïté. Ce rapport, dans le
vocabulaire linguistique, s’oppose à la similarité (voir Jakobson) : le
langage comporte deux procès, la sélection — substitution, pourquoi ce mot et
non un autre (comparaison) — et la combinaison. C’est à ce dernier procès que l’on
rattache la contiguïté. Par exemple, du mot « hutte » on peut obtenir « cabane » (substitution, similarité) ou bien « a brûlé » (combinaison,
contiguïté). Aussi, au mot « table »
on peut penser « chaise » (contiguïté).
Cette
obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec
le flux nous fait voir trente voiles
Corneille,
Le Cid, IV, 3
Ah !
quelle cruauté, qui tout en un jour tue
Le père par
le fer, la fille par la vue !
Corneille, Le
Cid, III, 4
La périphrase
(περιφράζω, s’exprimer par circonlocution) est une figure par laquelle on
substitue à un simple mot une expression imagée, plus longue.
Le soleil,
que Dubartas, ce classique ancêtre de la périphrase, n’avait pas encore nommé le grand-duc des chandelles.
Hugo,
Notre-Dame, VII, 1
Une hypallage
(υπαλλαγή, échange) attribue à
un mot un mot qui convient, en propre, à d’autres mots présents dans la
phrase ; dans l’exemple qui suit, les épithètes parfumées et blancs
correspondent en propre à bouquets et
étoiles.
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de
clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant
gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal
fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles
parfumées.
Mallarmé, Apparition
Une antonomase
(αντί, à la place de, όνομα, nom) remplace un nom propre par un nom
commun, ou inversement.
La grace d’elle est quand on désigne le
nom de quelque chose par ce qui luy est propre, comme le Père foudroyant, pour Jupiter :
le Dieu deux fois né, pour Bacchus : la Vierge chasseresse, pour Diane.
Du Bellay, Défense et illustration, II, 9, 1549
5. Les figures d’analogie
La comparaison consiste à rapprocher deux termes à l’aide d’un
outil comparatif tel que « comme », « ainsi que »,
« semblable à ». Le comparant
est ce à quoi l’on compare ; le comparé
ce que l’on compare.
Il est bavard comme une pie.
(« Il » est le comparé ; « une pie » le comparant)
L’allégorie
(αλληγορέω, dire
(en public) autrement) consiste à représenter une idée abstraite par une image
ou un récit, en utilisant fréquemment des symboles. Ainsi la justice, le temps,
la mort, etc. connaissent leurs allégories.
L’allégorie est essentiellement froide
et raide. Les personnages y sont d’airain, et se meuvent tout d’une pièce.
Renan, Histoire des origines du christianisme, 1863
... l’allégorie, ce genre si spirituel,
que les peintres maladroits nous ont accoutumés à mépriser, mais qui est
vraiment l’une des formes primitives et les plus naturelles de la poésie,
reprend sa domination légitime dans l’intelligence illuminée par l’ivresse.
Baudelaire, Les paradis artificiels, 1860
Gysis, L'histoire, 1892 |
La personnification est une figure
qui donne des éléments propres aux êtres humains à des idées abstraites ou à
des inanimés.
Et à partir de cet instant, je n’avais
plus un seul pas à faire, le sol marchait pour moi dans ce jardin où depuis si
longtemps mes actes avaient cessé d’être accompagnés d’attention volontaire : l’Habitude
venait de me prendre dans ses bras et me portait jusqu’à mon lit comme un petit
enfant.
Proust, Du côté de chez Swann, 1913
La prosopopée (προσωποπιέω, personnifier) donne à un
être inanimé, un animal ou à un défunt la faculté de parler ou d’agir.
Colomba continua de la sorte pendant
quelque temps, s’adressant tantôt au défunt, tantôt à sa famille, quelquefois
par une prosopopée fréquente dans les ballate, faisant parler le mort lui-même
pour consoler ses amis ou leur donner des conseils.
Mérimée, Colomba, 1840
La métaphore (μεταφέρω, transporter) désigne un objet ou une
idée par un mot qui ne lui convient
pas (l’orage pour la jeunesse). Elle
rapproche ainsi le comparé (jeunesse) au comparant (orage) sans terme
comparatif.
Distinguez :
Ma
jeunesse ne fut que comme un
ténébreux orage ; — comparaison.
« Ma
jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage » ; — métaphore in praesentia.
Baudelaire,
L’ennemi
Il existe aussi des
métaphores in absentia, où disparaît
le comparé, ce que l’on compare (la jeunesse) ; on ne parlerait alors que du
ténébreux orage, mais l’on saurait qu’il désigne la jeunesse.
6.
Les figures d’insistance
Une anaphore (ανα, en
arrière, en haut, à nouveau, et φέρω,
porter) répète un mot au début d’un vers, d’une phrase ou d’une proposition.
Elle est l’inverse, quant à sa position, de l’épistrophe (second exemple).
Rome,
l’unique objet de mon ressentiment !
Rome,
à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome
qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome
enfin que je hais parce qu’elle t’honore !
Corneille,
Horace, IV, 5
Il
roule par la brume, ancien et traverse
Ta
native agonie ainsi qu’un glaive sûr ;
Où
fuir dans la révolte inutile et perverse ?
Je
suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !
Mallarmé,
L’azur
L’énumération
est un simple inventaire, sans progression dans la qualité des termes
(gradation).
Tout
l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine,
frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et,
comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon
cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.
Baudelaire,
Chant d’automne
7. Les figures de construction
Une ellipse
(ελλείπω, manquer de, laisser
dedans) omet un ou plusieurs mots dans une phrase sans qu’à celle-ci affecte
son sens.
— Combien (coûte) la soie ?
Zola, Au bonheur des dames
Une asyndète
(α privatif
+ σύνδεση, conjonction) est une
figure qui omet les conjonctions.
Tu l’as voulu, (donc) tu l’as eu.
Le zeugme
(ζεύγνυμι, atteler) consiste à
« atteler » deux compléments (d’objet, d’attribution,
circonstanciels) à un seul verbe.
Cet homme marchait pur loin des sentiers
obliques,
Vêtu de probité candide et de lin
blanc ;
Hugo, Booz endormi
De ces cadeaux qui meublent une chambre
et la conversation.
Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs
Une anacoluthe
(ανακόλουθος, sans
suite) rompt la construction syntaxique normale, sans changer le sens de la
phrase.
Vous voulez que ce Dieu vous comble de
bienfaits
Et ne l’aimer jamais ?
Racine, Athalie, I, 4
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