La Poésie


La poésie, formellement, se définie non pas par la rime, mais par le rythme : ainsi, la « prose » religieuse du moyen âge était un texte rimé mais sans rythme. On la définie toujours par rapport à la versification et aux règles prosodiques.
Le verbe (ποιέω) duquel le mot « poésie » est issu signifie créer, fabriquer, faire, avec toujours une idée d’extériorité par rapport à l’auteur : l’immanence, elle, est rendue avec le mot πράττω, agir, d’où le mot « pratique ». Pour plus de distinctions, voir Aristote.


1. La versification


1.1. Au niveau de la rime


La rime est la répétition, à la fin du vers, de la dernière voyelle accentuée accompagnée des phonèmes qui y sont rattachés. Elles forment une identité entre deux ou plusieurs vers.


a. La richesse des rimes


- les rimes pauvres ne sont faites que de l’ultime voyelle tonique, par exemple preux/peu.
- les rimes suffisantes ajoutent à cette voyelle les sons qui la suivent, par exemple dure/clôture.
- les rimes riches répètent la voyelle tonique avec sa consonne d’appui, par exemple malheur/couleur.


b. Les genres des rimes


- féminines si elles finissent par un e muet.
- masculines pour toutes les autres.

La versification classique impose l’alternance des rimes féminines et des rimes masculines ; un exemple de Malherbes (1555-1628) :


Beauté de qui la grâce étonne la nature,
Il faut donc que je cède à l'injure du sort,
Que je vous abandonne, et loin de votre port
M'en aille au gré du vent suivre mon aventure.

Il n'est ennui si grand que celui que j'endure :
Et la seule raison qui m'empêche la mort,
C'est le doute que j'ai que ce dernier effort
Ne fût mal employé pour une âme si dure.

Caliste, où pensez-vous ? qu'avez-vous entrepris ?
Vous résoudrez-vous point à borner ce mépris,
Qui de ma patience indignement se joue ?

Mais, ô de mon erreur l'étrange nouveauté,
Je vous souhaite douce, et toutefois j'avoue
Que je dois mon salut à votre cruauté.


c. La disposition des rimes


- la plate (AABB), accouplée immédiatement à celle qui précède. Exemple de Boileau :


Cependant cet oiseau qui prône les merveilles,
Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,
Qui, sans cesse volant de climats en climats,
Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas ;


- la croisée (ABAB) est faite de deux couples entrecroisés. Exemple de Gautier :


Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.


- l’embrassée (ABBA) est faite d’un couple de rimes qui enserre un autre. Exemple de Leconte de Lisle :


Silencieux, les poings aux dents, le dos ployé,
Enveloppé du noir manteau de ses deux ailes,
Sur un pic hérissé de neiges éternelles,
Une nuit, s'arrêta l'antique Foudroyé.


1.2. Au niveau du vers


Le vers est une unité d’ordre rythmique, qui retient soit l’accentuation soit le nombre de syllabe. Le vers français est le plus souvent syllabique.
Le vers libre est d’abord un système de vers de longueur variable, mais peut aussi être, depuis les Symbolistes, un système irrégulier, non plus fondé sur la longueur ni sur la rime.


a. Le vers régulier


Le décompte syllabique permet de déterminer la mesure des vers. A retenir tout d’abord est l’élision du e muet, que l’on pratique en fin de vers et lorsque le mot qui suit commence par une voyelle. On le prononce, et la syllabe donc, quand le mot qui suit commence par une consonne.


Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.
Rimbaud, Ophélie


Le vers le plus courant en poésie française est le vers alexandrin, appelé aussi le vers héroïque, ou grand vers. Il tire son nom du Roman d’Alexandre (XIIIe siècle), écrit en ces vers de douze syllabes, avec des rimes plates. On comptera comme suit les syllabes :


Sur-l’on-de-calme-et-noire-où-dor-ment-les-é-toil(es)
  1    2    3    4      5     6      1   2      3     4  5    6


L’alexandrin se scinde, à la césure, en deux parties égales, les hémistiches.


Sur-l’on-de-calme-et-noire//où-dor-ment-les-é-toil(es)


La diérèse consiste à prononcer en deux syllabes deux voyelles successives ; quelquefois, un tréma l’induit (ma-ïs), mais souvent l’on ne possède pas de signe diacritique.


Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.
Baudelaire, Rêve parisien


Ces vers sont des octosyllabes (8), et possèdent deux diérèses. La synérèse, ou crase, fond en une syllabe ces deux voyelles :


Ainsi, dans le secret amassant la tempête,
Rit un beau ciel d'azur, qui cependant s'apprête
A foudroyer les monts, à soulever les mers.
Chénier, A Charlotte Corday


Outre ces deux mesures très fréquentes, on en distingue l’hendécasyllabe (11) décasyllabe (10), l’ennéasyllabe (9), l’heptasyllabe (7), l’hexasyllabe (6), etc. Par exemple :


Dessus un mont une flamme allumée
A triple pointe ondoyait vers les cieux,
Qui de l'encens d'un cèdre précieux
Parfumait l'air d'une odeur embaumée.
Du Bellay


De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Verlaine, Art poétique


b. Le vers irrégulier et le poème en prose


Il ne faut pas confondre le vers irrégulier, ou vers libre, avec le poème en prose qui ne connaît pas le vers, c’est-à-dire, prenant sa définition minimale, le retour à la ligne avant la marge extérieure.

Deux exemples de vers libre, qui n’emploie ni mètre, ni rime, ni strophe :


Blocus sentimental ! Messageries du Levant !...
Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,
Oh ! le vent !...
La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,
Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !...
D'usines....
Laforgue, L’hiver qui vient


Apollinaire


Un exemple de poème en prose :


Hier, j'ai trouvé ma pipe en rêvant une longue soirée de travail, de beau travail d'hiver. Jetées les cigarettes avec toutes les joies enfantines de l'été dans le passé qu'illuminent les feuilles bleues de soleil, les mousselines et reprise ma grave pipe par un homme sérieux qui veut fumer longtemps sans se déranger, afin de mieux travailler: mais je ne m'attendais pas à la surprise que préparait cette délaissée, à peine eus-je tiré la première bouffée, j'oubliai mes grands livres à faire, émerveillé, attendri, je respirai l'hiver dernier qui revenait. Je n'avais pas touché à la fidèle amie depuis ma rentrée en France, et tout Londres, Londres tel que je le vécus en entier à moi seul, il y a un an, est apparu; d'abord les chers brouillards qui emmitouflent nos cervelles et ont, là-bas, une odeur à eux, quand ils pénètrent sous la croisée. Mon tabac sentait une chambre sombre aux meubles de cuir saupoudrés par la poussière du charbon sur lesquels se roulait le maigre chat noir; les grands feux ! et la bonne aux bras rouges versant les charbons, et le bruit de ces charbons tombant du seau de tôle dans la corbeille de fer, le matin — alors que le facteur frappait le double coup solennel, qui me faisait vivre ! J'ai revu par les fenêtres ces arbres malades du square désert — j'ai vu le large, si souvent traversé cet hiver-là, grelottant sur le pont du steamer mouillé de bruine et noirci de fumée — avec ma pauvre bien-aimée errante, en habits de voyageuse, une longue robe terne couleur de la poussière des routes, un manteau qui collait humide à ses épaules froides, un de ces chapeaux de paille sans plume et presque sans rubans, que les riches dames jettent en arrivant, tant ils sont déchiquetés par l'air de la mer et que les pauvres bien-aimées regarnissent pour bien des saisons encore. Autour de son cou s'enroulait le terrible mouchoir qu'on agite en se disant adieu pour toujours.
Mallarmé


1.3. Au niveau de la strophe et du poème entier


On distingue plusieurs types de strophes, selon le nombre de vers qu’elles contiennent :

- le distique est un groupe de deux vers ;
- le tercet pour trois vers ;
- le quatrain pour quatre vers ;
- le quintil ;
- le sizain ;
- le septain ;
- le huitain ;
- le neuvain ;
- le dizain ;
- l’onzain ;
- le douzain.

Certaines de ces formes ne distinguent pas la strophe du poème : un quatrain, la structure la plus courante, pourra n’être qu’une strophe d’un poème, ou bien un petit poème par lui-même.

Au sein de ces strophes peut exister :

- un enjambement, c’est-à-dire le rejet au début du vers suivant ce qui est lié à la compréhension du premier (il peut se construire avec un rejet et/ou un contre-rejet) :


La vie, ô Sextius, est brève. Hâtons-nous
De vivre. Déjà l'âge a rompu nos genoux.
De Heredia, A Sextius


- un rejet, poussant un membre de phrase, souvent un seul mot, au début du vers suivant :


Alors m’éveillerais-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité.
Mallarmé, L’après-midi d’un faune


- un contre-rejet, qui est un mot qui commence au vers précédent la phrase du vers suivant :


Ces nymphes, je les veux perpétuer.

Si clair,
Leur incarnat léger qu’il voltige dans l’air
Assoupi de sommeils touffus.
Mallarmé, L’après-midi d’un faune


Parmi les poèmes, c’est-à-dire les pièces entières, on pourra mentionner les plus courantes :

- le sonnet, formé de deux quatrains et de deux tercets (14 vers). La disposition des y est stricte en poésie classique : de deux rimes embrassées dans les quatrains (ABBA-ABBA), à deux rimes, dans les tercets, suivies (CC) auxquelles se succèdent deux rimes croisées (DEDE) ou embrassées (DEED). Ces dernières font la différence entre le sonnet italien (embrassées) et français (croisées). Exemple de Banville :


Hérodiade

A            Ses yeux sont transparents comme l'eau du Jourdain.
B            Elle a de lourds colliers et des pendants d'oreilles ;
B            Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,
A            Et la rose des bois a peur de son dédain.          

A            Elle rit et folâtre avec un air badin,
B            Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.
B            Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles
A            Pour la blancheur aux lis orgueilleux du jardin.

C            Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine !
C            Un petit page noir tient sa robe qui traîne          
D           En flots voluptueux le long du corridor.

E            Sur ses doigts le rubis, le saphir, l'améthyste
D           Font resplendir leurs feux charmants : dans un plat d'or
E            Elle porte le chef sanglant de Jean Baptiste.


- la ballade, faite de trois dizains et d’un quintil (l’envoi), en décasyllabes.


La ballade des pendus

A            Frères humains, qui après nous vivez,
B            N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
A            Car, si pitié de nous pauvres avez,
B            Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
B            Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
C            Quant à la chair, que trop avons nourrie,
C            Elle est piéça dévorée et pourrie,           
D           Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
C            De notre mal personne ne s'en rie ;
D           Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

A            Se frères vous clamons, pas n'en devez
B            Avoir dédain, quoique fûmes occis
A            Par justice. Toutefois, vous savez
B            Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
B            Excusez-nous, puisque sommes transis,
C            Envers le fils de la Vierge Marie,           
C            Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
D           Nous préservant de l'infernale foudre.
C            Nous sommes morts, âme ne nous harie,         
D           Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !           

A            La pluie nous a débués et lavés,
B            Et le soleil desséchés et noircis.
A            Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
B            Et arraché la barbe et les sourcils.
B            Jamais nul temps nous ne sommes assis           
C            Puis çà, puis là, comme le vent varie,
C            A son plaisir sans cesser nous charrie,
D           Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
C            Ne soyez donc de notre confrérie ;
D           Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

C            Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
C            Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
D           A lui n'ayons que faire ne que soudre.
C            Hommes, ici n'a point de moquerie ;
D           Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !           
François Villon




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